L’amitié… L’amitié, c’est un peu comme l’amour… C’est un sentiment fort qui unit deux personnes dans la confiance et le partage… L’amitié , c’est aussi des moments hauts et des moments plus bas, dont en principe on se remet… qui passent… Enfin, c’était le cas pour moi jusqu’à hier…
Parce qu’hier il s’est passé une chose terriblement violente pour moi, une chose à laquelle je ne m’attendais pas et qui m’a blessée, anéantie même… Qui a transformé mon dimanche en cauchemar, et qui ne va pas passer de sitôt d’ailleurs… Parce qu’hier, avec cette amie-là, il y a eu rupture, une rupture qui m’a fait aussi mal que s’il s’agissait de rupture amoureuse…
Alors oui, la relation était cahotique ces dernières années, parce que – sûrement- ni l’une ni l’autre n’allait bien. Et chacune reconnaît ses erreurs potentielles, son implication, mais il n’empêche que nous en sommes là, à ce stade où l’on constate que même si chacune accorde à l’autre ses qualités, la relation ne fonctionne plus, malgré les conciliations, l’amitié et le respect. Et ça, c’est terrible pour moi… D’autant plus terrible que je pensais qu’on passait à un autre stade, sûrement parce que la vie s’est adoucie pour moi… Mais -et je l’entends complètement- ce n’est pas parce que des choses évoluent pour moi que cela change ce que nous partageons (ou pas !).
Si je devais te dire, si je savais que tu allais me lire, je te dirais que j’ai un mal de chien, tu l’as vu d’ailleurs. Je te dirais que je trouve que c’est un beau gâchis, sans t’accuser bien sûr… Juste que ça me fait mal parce que c’est un échec que je n’avais jamais envisagé jusqu’à tes mots hier. Que la douche fût glacée et que je suis bouleversée… Que je n’oublie pas tout ce que nous avons partagé, toutes tes présences indéfectibles et mes erreurs… Le sentiment que j’ai, c’est au final de n’avoir pas su assez bien te comprendre, tu es une intelligence rare, je crois que je n’ai pas tes clés… Et pourtant j’ai essayé, mal essayé mais essayé quand même, parce que tu as toujours eu cette importance à part.
Je n’ai jamais trop su comment mettre un terme aux relations, toi non plus… Je ne sais pas vraiment comment les choses vont évoluer… Autant dire qu’à me repasser certains propos je ne suis pas optimiste, je ne veux pas me leurrer et souffrir davantage… Et pourtant je ne peux m’empêcher d’espérer que tout ça n’a été qu’un mauvais rêve… Mais j’en ai assez de ma naïveté, de ma crédulité… Alors l’espoir ! … Mais suis-je prête à faire ce deuil là ? Je ne sais pas… Je suis perdue, amère et triste… J’ai mal…
D’après Tahar Ben Jelloun, “Des blessures inconsolables”
L’amitié est rare, très rare, d’où son aspect précieux et marquant. On arrive à la fin de la vie et on essaie de compter ceux qu’on considère comme de vrais amis, ceux dont la fidélité a été sans failles, ceux qui vous ont aimé tel que vous êtes, sans vous juger ni essayer de vous changer. C’est dans les épreuves, les moments difficiles et parfois décisifs, que l’amitié se révèle et se consolide ou s’absente et tombe dans le commun de l’oubli. L’amitié est ce qui permet de désarmer la cruauté et d’affronter le mal. Elle peut avoir existé, avoir été sincère et forte, et puis se briser d’un seul coup, s’anéantir parce qu’elle aura manqué à l’un de ses principes fondamentaux, la fidélité, c’est-à-dire la constance dans la confiance, cette présence qui ne doit jamais faire défaut. La trahison, c’est le fait de « manquer à la foi donnée à quelqu’un », c’est une forme d’abandon doublé parfois d’une volonté de nuisance ou d’une participation active ou passive à une opération de malfaisance. On agit contre quelqu’un à qui l’on devait fidélité. Souvent on agit par intérêt, par jalousie ou par vengeance et mesquinerie. Toutes ces notions non seulement sont étrangères à l’amitié, mais sont sa négation absolue. L’évêque anglican Jeremy Taylor (1613-1667) utilise l’expression « adultère d’amitié » pour parler de trahison : « La trahison et la violation d’un secret constituent les adultères d’amitié et dissolvent l’union entre les amis. » Dans ce sens, l’amitié est considérée comme un « mariage entre les âmes ». Quand on convoque le malheur et la convoitise, on révèle sa propre défaite, son incapacité d’avoir de l’amitié. Or l’amitié est un état de grâce apaisé et apaisant. Il faut du temps pour atteindre cet état où le plaisir vient de la gratuité et de l’absence de quelque intérêt que ce soit. C’est en ce sens que la force d’une amitié peut s’effondrer parce qu’un élément impur s’est introduit dans la relation.
Dans la relation amoureuse et sexuelle, la trahison, l’usure, le conflit et la guerre sont de l’ordre du possible. Ils font partie du jeu, sont admis même si l’on n’en parle pas. Quand un amour est trahi et brisé, on a du chagrin et on sombre dans une mélancolie profonde. On souffre du fait qu’on est face à une impossibilité, celle d’inverser le cours des choses. On a le sentiment qu’on ne se relèvera pas de cet échec. Pourtant, le temps fait son travail. Parce que l’amitié est à l’écart de toute satiété et de tout calcul, ces dérapages ne devraient pas arriver et en outre ils ne sont pas prévus. Le fondement même de l’amitié est l’absence de conflit pervers et d’intérêt dissimulé. Quand une amitié est trahie, la blessure est insupportable justement parce qu’elle ne fait pas partie de la conception et la nature de la relation, laquelle est une vertu, pas un arrangement social ou psychologique. Elle est vécue comme une injustice. Elle est incurable. On ne comprend pas et on s’en veut d’avoir donné le bien le plus précieux à quelqu’un qui ne le méritait pas ou qui n’a pas compris le sens ni la gravité de ce don. On s’est trompé et on a trompé. La rupture s’impose parce que l’amitié ne souffre pas de concessions avec le faux, la tiédeur et la perversité. En amour, on peut solliciter et insister, la consolation existe. Tôt ou tard, l’oubli s’installe et l’émotion retrouve sa jeunesse et ses forces.
En amitié, la consolation est illusoire, le deuil un précipice. Un ami, un vrai ne se remplace pas. On vit avec la blessure infinie, on s’entête à vouloir oublier, mais on sait que c’est un exercice vain. Pourquoi ce genre de blessure persiste-t-il dans la mémoire ? C’est le principe de la parole donnée qui n’a pas été respecté. La confiance abusée, cambriolée par la personne à qui on a laissé les clés, c’est l’effarement de découvrir qu’on a longtemps fait fausse route, qu’on a cru les mots dont on n’avait que l’enveloppe, ouvert sa maison intérieure, lieu intime du secret, et voilà que tout cela vole en éclats. La trahison est une forme silencieuse de meurtre. On tue le don et la grâce, puis on se masque. On prend place dans le coeur et l’amour de l’autre, on connaît ses repères et ses faiblesses, puis on en profite pour démolir la maison et fouler aux pieds la confiance.
Comment ne plus souffrir de ces blessures ? Comment choisir ses amis ? Quelle illusion ! Comment savoir, comment prévoir les métamorphoses de l’âme, ses errances, ses revirements ou sa fidélité et son intégrité ?
Il n’y a pas de recette.
Merci Lecteur Hypothétique et bienvenu ici… Je viens de prendre le temps de lire le long extrait, je le relirai, je m’y suis amplement reconnue… Merci pour ces mots semés gentiment, gratuitement…
Merci pour votre accueil.
J’ai lu votre billet de ce jour et si je viens y répondre ici, c’est parce que je me dis qu’il est des textes qui doivent rester dans leur écrin. Pur. Portant et gardant toute la sensibilité que l’on y perçoit.
Vous l’aurez compris, j’ai certainement quelquepart une histoire d’amitié mal cicatrisée et j’ai cherché au hasard de mes lectures des réponses à défaut de recettes, puisqu’il n’y en a pas.
Parmi ces lectures, j’ai lu une histoire d’amitié que je vous conseille aussi : « LES INSEPARABLES » Roman de Marie Nimier (Galimard Editeur -2008)
EXTRAIT /
… J’ai gardé les lettres de cette époque, elles sont là, dans le tiroir de mon bureau, juste à côté de moi. Des lettres parfois si tendres, comme on en reçoit pas beaucoup dans son existence.
Des lettres comme celle-ci.
Nous sommes amies, écrivait Léa, unies par la complicité des éclairs. Nous sommes liées et poutant si différentes l’une de l’autre, mais ce que nous avons compris c’est que chacune aide l’autre à vivre (moi je ne t’aide pas beaucoup en ce moment, mais j’espère que tu sens l’amour que j’ai pour toi et je souhaite pouvoir te combler si tu es dans le besoin ou même si tu n’est pas dans le besoin). Ensemble nous arriverons à toucher la lune, toi les pieds sur terre et moi la tête à l’envers, mais qu’est ce que ça change le sens ou la façon, tant qu’on touche la lune…
Tu sais, je suis consciente de notre chance et j’aimerais pouvoir t’envoyer des phrases si pleines d’amitié que les larmes te viendraient aux yeux. Quand je t’écris, j’ai l’impression que tu sens mieux que moi ce qu’est ma vie. Je lutte contre la tristesse qui peu à peu gagne mon coeur. Je prends mon stylo pour me rapprocher de toi. …
Merci Lecteur Hypothétique, vos mots sont une fois encore très attentionnés, et ça me touche. Je crois que je me sens apaisée, aujourd’hui, d’avoir reçu cette lettre, hier. L’extrait est très beau. Merci pour ces partages littéraires et le temps que vous avez pris à écrire tout ça.